Lors de l’acquisition d’un bien à titre onéreux ou gratuit, la tentation est grande de sous-estimer dans l’acte la valeur du bien transmis. C’est toujours autant de gagné en termes de droits de mutation.
Maintenant, deux situations se présentent. Soir le bien est purement et simplement sous-évalué, soit la sous-évaluation correspond à un paiement particulier entre les deux parties. Appelons les choses par leur nom, on est en présence d’un dessous de table selon l’expression consacrée.
Sur le fondement des dispositions de l’article L. 17 du L.P.F., l’administration dispose des moyens légaux pour contredire une sous-évaluation. Que l’opération soit à titre gratuit ou à titre onéreux, elle est toujours en droit de le faire à la condition de présenter à titre d’éléments de comparaison, des cessions antérieures portant sur des biens intrinsèquement similaires. L’acquéreur se voit alors contraint d’acquitter les droits de mutation à raison du prix ou de la valeur ainsi rectifiée, le tout assorti des intérêts de retard.
Maintenant, que se passe-t-il lorsque l’acquéreur désire ensuite céder son bien ? Quelle est alors l’influence de cette sous-évaluation sur le calcul ultérieur d’une plus-value si bien entendu celle-ci n’est pas exonérée du fait de l’application de l’abattement pour durée de détention de l’article 150 VC du C.G.I. ?
Le Conseil d’Etat eut à se prononcer sur cette question dans un arrêt antérieur du 24 octobre 1979 (CE, n° 14249 : RJF 12/1979, n° 718).
Il a estimé qu’une telle insuffisance devait rester étrangère au calcul de la plus-value. Autrement dit, le cédant devait acquitter les droits de mutation correspondants mais ne pouvait, en aucun cas, en tenir compte pour déterminer le prix d’acquisition à retenir lors du calcul de la plus-value.
Or, un récent arrêt du même Conseil d’Etat permet de revenir sur cette question (CE, 27 nov. 2019, n° 418379). Le juge de l’impôt estime en l’occurrence nécessaire d’intégrer au prix d’acquisition l’insuffisance de prix notifiée par l’administration à l’occasion de l’acquisition du bien. Et tout le monde se réjouit. La diminution de la plus-value imposable est sans nul doute appréciable. Voilà un revirement de jurisprudence bienvenu et bien agréable.
Malheureusement, arrêtons de rêver, point de revirement de jurisprudence il n’y a. Revenons pour le comprendre à une notion essentielle en matière d’impôt sur le revenu : seul peut être soumis à cet impôt un revenu disponible au sens des dispositions de l‘article 12 du C.G.I. Et précisément un point crucial distingue les espèces de 1979 et de 2019. Dans l’arrêt de 1979, l’acquisition avait été réalisée à titre onéreux.
Dans la décision de 2019, elle était intervenue à titre gratuit. Au plan de la détermination du revenu disponible constitué par la plus-value, où se situe donc la différence ?
En présence d’une acquisition à titre onéreux, le revenu disponible doit être apprécié en espèces sonnantes et trébuchantes. Et au regard du prix d’acquisition, comme le disent les dispositions des articles 150 VB du C.G.I., celui-ci correspond au “prix effectivement acquitté par le cédant, tel qu’il a été stipulé dans l’acte”. C’est par conséquent à juste titre que l’insuffisance de prix est dans ces conditions écartée du calcul de la plus-value. Elle n’a à l’évidence pas donné lieu à un quelconque versement. Le revenu disponible est bien égal à la différence entre ce qui est encaissé lors de la cession et ce qui été effectivement versé lors de l’acquisition.
En revanche, lorsque l’acquisition intervient à titre gratuit, l’acheteur acquitte certes les droits de mutation à raison de l’éventuelle insuffisance, mais il s’agit d’une insuffisance d’évaluation et non de prix de vente. Aucun débours n’intervient. Et c’est bien là toute l’explication. L’administration peut remettre en cause la valeur mentionnée dans l’acte constatant la donation ou la succession. Elle se préoccupe de rétablir une juste assiette droits de mutation à titre gratuit.
Elle retient alors logiquement la valeur vénale du bien à titre de prix d’acquisition, celle qui résulterait de la confrontation de l’offre et de la demande. Et à cet égard, l’obligation faite à l’administration par la Cour de cassation de présenter à titre de termes de comparaison des cessions antérieures de biens intrinsèquement similaires vise à atteindre ce but. Ainsi correctement établie, cette valeur fait ensuite office de prix d’acquisition pour le calcul de la plus-value de cession.
La notion de revenu disponible est bien la clé. On en veut pour preuve le sort fiscal du fameux “dessous de table“. Dans cette circonstance au demeurant fort déconseillée car synonyme de l’existence d’une fraude fiscale caractérisée justifiant l’application de pénalités très lourdes, une somme est bien payée “hors la vue du notaire”. Si l’administration en apporte la preuve, l’acquéreur doit évidemment acquitter les droits de mutation correspondants, mais la compensation financière se trouve pour lui dans la détermination ultérieure d’une plus-value imposable s’il venait à céder le bien. L’intégration du montant dissimulé dans le prix d’acquisition ne souffre en l’occurrence d’aucune discussion. Le montant total correspond bien au prix effectivement payé lors de l’achat du bien. Si l’on s’en tient là, la compensation financière est au rendez-vous. Attention, à l’évidence, elle n’est qu’apparente. Les pénalités applicables sont celles prévues en matière de mauvaise foi décomptée donc au taux de 40 %, si ce ne sont pas celles applicables en matière de manœuvres frauduleuses à hauteur de 80 %.
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